LE BAC, POUR QUOI FAIRE ?

En refaire un jalon d'importance en lui redonnant du sens !

Devenu une simple formalité pour la plupart des élèves, le diplôme du baccalauréat a perdu beaucoup de son sens originel, et beaucoup de sens tout court. A quoi pourrait servir le baccalauréat dans un lycée de la transmission des savoirs, tel que nous l’appelons de nos vœux à “Action et Démocratie” ?

« Passe ton bac d’abord » !  La célèbre formule des années 60-70, qui n’a peut-être pas eu autant d’importance que sa notoriété le laisse imaginer, traduisait tout de même l’idée que l’obtention du diplôme constituait un laisser-passer pour la réussite sociale et professionnelle. Mais de l’eau a coulé sous les ponts, et le « bac » a aujourd’hui changé de nature…

D’abord, et même si c’est officiellement toujours le cas depuis sa fondation moderne en 1808, le baccalauréat n’est plus vraiment le premier grade universitaire, dans la mesure où les élèves obtenant le baccalauréat subissent un changement radical d’exigences et de méthodes d’apprentissage en arrivant à l’Université. Ceci a pour conséquence le désormais bien connu taux d’échec des étudiants de 1ère année universitaire, d’un peu plus de 50 %, qui monte en outre à des taux stratosphériques pour les bacheliers technologiques et professionnels. Cet échec n’est certes pas nouveau, mais il interroge tout de même par son ampleur, sachant que parmi les étudiants qui ne parviennent pas en 2e année, la moitié arrête tout simplement ses études.

On peut également interroger la valeur certificative du baccalauréat en tant que diplôme sanctionnant la fin des études du second degré, et donc validant un certain nombre de connaissances et de capacités des élèves. D’une part, les critères pris en compte dans la notation finale se sont multipliés dans la nouvelle formule du baccalauréat général et technologique : en premier lieu du fait de l’introduction d’un contrôle continu nécessairement inégalitaire d’un lycée à l’autre, voire d’un professeur à l’autre, mais aussi avec l’ajout d’un « grand oral » dont en peine encore bien à comprendre ce qu’il évalue exactement. Qui pourrait donc lister aujourd’hui ce que la réussite au baccalauréat (qu’il soit général, technologique, ou professionnel) vient valider ? D’autre part, il est nécessairement arrivé à chaque collègue de lycée de s’étonner de la réussite à l’examen d’élèves peinant à aligner des phrases ayant un sens (on ne mentionnera même plus l’orthographe, défaite silencieusement acceptée devant l’ampleur du désastre), ou ayant encore des difficultés à maîtriser les quatre opérations mathématiques élémentaires. Enfin, le simple fait que 90 % des bacheliers poursuivent des études supérieures montre bien le caractère transitoire du baccalauréat, constituant une simple porte de passage vers le degré supérieur d’enseignement, au même titre que le Brevet des collèges.

Enfin, il est d’usage de considérer que le baccalauréat a pu servir de rite de passage vers l’âge adulte, ce qui semble, là aussi, de moins en moins le cas. La massification de l’enseignement, et la réussite (certes, tardive), de l’objectif de mener 80 % de chaque classe d’âge au niveau du baccalauréat, aurait pu valider ce rôle d’épreuve symbolique, désormais promise à la grande majorité des jeunes Français. Mais pour qu’il y ait rite de passage, il faut nécessairement une confrontation avec une adversité, celle-ci étant d’ailleurs, dans les nombreux cas étudiés par les anthropologues, souvent d’une forme relativement violente. A cet égard, on peut déjà relever que le niveau d’adversité est franchement atténué par les mirifiques taux de réussite égrenés chaque année, en en hausse d’ailleurs quasi-constante : 91 % en 2023, avec presque 96 % pour le baccalauréat général, dont 70 % avec mention, qui dit mieux ? Mais il faut ajouter que la notion de rite de passage est éminemment collective : il s’agit d’un message que la société fait passer à des groupes dans leur ensemble qui changent d’état, de statut social. Aujourd’hui, entre l’acquisition progressive du baccalauréat au fil des années de 1ère et Terminale via le contrôle continu, et la transmission des résultats sous forme informatique alors que les élèves ont déjà la tête dans l’enseignement supérieur, tout se passe au niveau individuel. Au final, c’est peu dire que l’obtention du précieux sésame ne marquera pas les mémoires des nouvelles générations !

Alors, face à ce constat, que faire ? Il n’est pas possible de fournir une réflexion complète sur le sujet, qui dépasse le cadre d’un simple billet, mais quelques principes directeurs peuvent tout de même être évoqués pour redonner du sens à cette institution. Tout d’abord, pour lui redonner de la valeur, il est essentiel de renforcer l’exigence du diplôme, tout en prévoyant des solutions de poursuite d’études aux élèves échouant à l’examen, de manière à refaire du baccalauréat un ensemble « d’épreuves », au sens premier du terme. D’autre part, le passage d’épreuves nationales, anonymes, en fin d’année de Terminale doit redevenir la norme, et ce dans la majorité des disciplines des élèves : cela est la condition d’une notation juste et équitable entre les élèves du pays. Enfin, on pourrait imaginer faire du baccalauréat l’outil de sélection pour l’enseignement supérieur, ce qui permettrait un traitement des candidatures plus objectif que le système Parcoursup, et limiterait les pressions parentales sur les enseignants, de plus en plus nombreuses dans les lycées ces dernières années.

Le sens de ces quelques principes directeurs serait non pas d’envisager le bac comme un aboutissement d’études – la massification est là, et sans doute de manière irréversible – mais d’en faire de nouveau un jalon d’importance dans la scolarité, voire la vie, des jeunes Français. Dans tous les cas, il est clair que nous ne rendons pas service à nos élèves en les laissant se perdre dans des systèmes dont nous peinons nous-même à percevoir le sens.

Colin MARTET, professeur de Sciences économiques et sociales en lycée.