Pour en finir avec le harcèlement scolaire
Nous partageons la douleur de la famille de Lindsay, cette jeune collégienne de 13 ans qui s’est donné la mort le 12 mai dernier après avoir été harcelée pendant des mois. Nous partageons aussi sa colère contre « l’inertie des pouvoirs publics qui semblent se foutre complètement du fait qu’une gamine de 13 ans se soit pendue et que des parents qui alertaient pendant des mois se soient retrouvés complètement abandonnés », comme le résume crument leur avocat.
Contraint à s’exprimer sur le sujet, le ministre de l’éducation Pap Ndiaye a appelé les chefs d’établissement à une « réaction systémique et complète ». Mais concrètement, de quel arsenal répressif dispose un chef d’établissement envers les harceleurs ? Une heure de colle ? Une remontrance bien sentie en fronçant les sourcils ? Une exclusion temporaire ? Croit-on que cela puisse impressionner des gamins en roue libre totale dont les parents ont délaissé leurs obligations éducatives depuis des années ? L’extension du dispositif de prévention PHARE contre le harcèlement ne saurait pallier ni l’absence de moyens en surveillants, psychologues, infirmiers supplémentaires notamment, ni l’absence incompréhensible de sanctions contre les bourreaux.
A la suite d’un énième drame en 2021, le ministre de l’époque déclarait, au sujet des harceleurs, qu’ « on ne peut les bannir ». Certes, mais on peut concevoir des structures adaptées pour qu’ils poursuivent leur scolarité et que leurs victimes soient enfin mises à l’abri ! Demander aux principaux des 7000 collèges d’organiser « une heure de sensibilisation sur le harcèlement et l’usage des réseaux sociaux », c’est en revanche se moquer. Et nous n’avons pas envie de rire.
Non monsieur le ministre, le suicide de Lindsay n’est pas « un échec collectif » mais la conséquence tragique et inéluctable des renoncements et lâchetés de votre administration. Action & Démocratie évoquait encore le 17 mai dernier devant le Conseil supérieur de l’éducation la situation hélas tristement banale d’une enseignante menacée de mort par un élève qui terrorise également les autres élèves. Quelle a été la réponse de l’institution ? Déplacer l’enseignante ! Et bien entendu aucune sanction pour l’élève !
Action & Démocratie CFE-CGC réclame de vrais actes afin de lutter enfin efficacement contre le fléau de la violence scolaire. Partout, les victimes de harcèlement doivent être prises en charge et aidées par des personnels en nombre suffisant. Partout les élèves les plus violents, perturbateurs et harceleurs doivent être retirés des établissements ordinaires et pris en charge dans des structures adaptées, par des éducateurs, psychologues et enseignants spécialisés recrutés en nombre et dûment formés.
Des enfants souffrent, des enfants meurent ! Assez de bla-bla, des actes !
Nos positions et propositions
La violence est dans l’école
L’interdit de la violence à l’école, et son principal corollaire, l’interdiction de faire consciemment et volontairement souffrir autrui, semble être tombé.
Les déclarations d’intention, les condamnations morales n’endiguent plus un phénomène avéré, et en expansion : professeurs agressés, assassinés, élèves martyrisés durablement de la maternelle au lycée, jusqu’au suicide, et un monde adulte incapable de réagir à temps, paralysé par tout un ensemble de règlements et d’idéologies dévoyées qui aboutit à la déresponsabilisation des auteurs de ces violences, régulièrement perçus comme étant eux-mêmes victimes d’autres facteurs antérieurs ou concomitants, mais aussi, de ceux qui ont la charge de garantir la sécurité des élèves dans les établissements scolaires, et surtout enfin, de leurs responsables légaux.
C’est la notion même de responsabilité individuelle qui est dissoute dans un bain d’explications alambiquées et fumeuses : il faut comprendre celui qui cause le malheur d’autrui et, dans cette logique, les victimes tombent dans les oubliettes, à moins que, pire encore, elles soient accusées d’être la cause de leur agression.
Ce syndrome de la « mini-jupe », qui expliquait, cautionnait et exonérait in fine la main aux fesses, n’est plus de mise dans le registre des rapports entre les hommes et les femmes. Le phénomène « me too » aura eu ici un rôle essentiel et efficace. Quid du harcèlement dans le système scolaire français ?
On doit s’interroger sur la logique qui mène à la recherche des responsabilités des victimes elles-mêmes dans le harcèlement qu’elles subissent à l’école. Dans l’école, pour 1 cas réglé, nous en voyons 100 qui dégénèrent : qu’as-tu donc fait pour mériter ça ? Voilà la question insupportable qu’on adresse trop souvent à ceux qui sont les victimes. Et on ose s’étonner de leur tendance à se taire ?
Si l’on veut bien s’intéresser aux cas vite et bien réglés – et fort heureusement il en existe – on remarquera deux facteurs essentiels :
- Tout d’abord, on croit la victime ; on ne la soupçonne de rien : ni de sensiblerie, ni de provocation, ni d’exagération, ni de manipulation.
- Ensuite, une ou des sanctions tombent sans délai :
- Ou dans le registre d’une condamnation morale sans équivoque, qui dénonce à la fois la lâcheté des persécuteurs et la passivité des témoins qui étaient restés silencieux, et qui met en place un devoir civique de dénonciation au nom de la notion légale de non-assistance à personne en danger.
- Ou dans le registre d’une sanction disciplinaire, conséquence du passage en conseil de discipline des persécuteurs, et un rappel à la loi des responsables légaux de ceux-ci.
- Ou les deux.
La loi du silence qui règne au sein des classes et des établissements où sévissent des harceleurs est la conséquence de la lâcheté des adultes, et doit être dénoncée et combattue.
La réalité est insupportable : ce sont les élèves victimes qui changent très majoritairement d’école, de collège ou de lycée, à l’inverse de ce qui devrait se produire. Le ministère de l’éducation signe là sa faillite et son incompétence en la matière : toutes deux bien mal dissimulées derrières des procédures technocratiques ineptes présentées par des acronymes pompeux : PHARE.
« Lutter contre le harcèlement » ne suffit pas : on doit l’interdire et le réprimer car il est humainement inacceptable. Une école qui est incapable de garantir la sécurité physique et psychologique des enfants qui la fréquentent trahit la République.
A&D demande un changement de paradigme sur cette question pour intégrer en particulier deux notions essentielles :
- Sur la base du constat que la nocivité des réseaux sociaux est avérée : l’interdiction absolue de la détention et de l’usage de smartphone dans la totalité des établissements scolaires du primaire et du secondaire : nombre de vidéos de harcèlement diffusées sur les réseaux sociaux sont faites à partir de prises de vue effectuées au sein même des établissements scolaires.
- Sur la base du constat que dans l’état actuel des choses, ce sont les victimes de harcèlement qui ont à changer d’établissement dans une proportion effarante de cas : la possibilité d’exclusion définitive des élèves harceleurs des établissements scolaires au sein desquels ils ont sévi. À cette fin, il faut rompre l’état d’impuissance structurelle dans lequel ils sont maintenus, et de toute urgence redonner aux chefs d’établissements le pouvoir de prononcer de telles sanctions. Il faut en particulier les exonérer de la tâche de trouver un nouvel établissement d’accueil. Cette tâche doit revenir aux services rectoraux : ils doivent eux aussi assumer une part de responsabilité et cesser de se défausser sur les PERDIRS.
Un problème aussi grave, en plein développement grâce aux possibilités de communication numérique sur les réseaux sociaux, désormais aussi massivement répandu, aux conséquences terribles comme nous le rappelle cruellement l’actualité récente, ne sera pas résolu sans délai, ni facilement. Mais au moins faut-il cesser derechef de se payer de mots et de se cacher derrière des dispositifs à l’inefficacité très malheureusement démontrée par les faits.
Des enfants se suicident en France parce qu’ils sont martyrisés à l’école, de façon connue, avec une mise en publicité odieuse et répugnante sur les réseaux sociaux : les tweets de sympathie avec les victimes sont gravement insuffisants.